Claude Seignolle | Le baiser de Chopin

Lundi, 5 janvier 2015

Il était une fois un prodigieux conteur qui s'en alla frapper à la porte du château de Nohant...

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'' Je me présentai donc à Nohant et demandai à parler à la dame du château. Chance, elle se trouvait là. Elle me reçut, nonagénaire raide et sèche, tout en haut dans le bureau grenier de George encore encombré d'une profusion de pierres, de fossiles poussiéreux et dessins sous verre.

Hélas ! Malgré sa gentille et respectueuse insistance, elle ne s'estima pas capable de chapeauter mon inventaire de vieilles traditions. Mais tout de même généreuse en souvenir familiaux, elle me raconta les moments de grand bonheur qui enchantèrent ses vacances d'été en ces lieux, jusqu'à la mort de George Sand, alors qu'elle avait sept ans.

Chaque matin, Aurore lui amenait son petit-déjeuner au lit  ( bien sûr. c'était les domestiques qui portait le lourd plateau jusque-là ). Frappant fort à la porte, elle réveillait mère-grand qui feignait de dormir mais l'attendait impatiemment, s'exclamant de plaisir : '' Qui est là ?... Si c'est ma petite Aurore, c'est qu'il fait beau... Viens vite, vite dans mes bras me donner ton soleil.''

Aurore se précipitait et les voilà s'embrassant à tour de lèvres emmêlées dans les draps défaits.

Là, après un regard intérieur vers les images de ce souvenir, Aurore sourit et me dit : '' Comprenez mon émotion, plus tard, lorsque je réalisai pleinement que s'étaient associés à mes baisers ceux de tant d'autres célébrités et, surtout de Chopin autrefois offerts avec la même ardeur, ici même, et que je porte toujours sur mon visage comme un dépôt sacré ! '' 

Ces lèvres, ces joues fripées, là devant moi, avaient partagé les baisers reçus des ces êtres légendaires.

Alors, en désir de cueillir une part infime de cet inestimable trésor, je lui demandai en la quittant la permission de l'embrasser : vieille coutume humaine qu'elle me rendit et qui, en fait, dissimule le prendre et le donner d'un peu de soi à l'autre, sorte d'échange magique. J'eus même droit au contact d'un tout petit coin de sa lèvre humide contre les miennes !

Je quittai Nohant autre qu'en y arrivant. Généreux de cette anecdote, je commençais à raconter mon aventure féerique : porter entre mes moustaches un rien du contact indirect avec ces célèbres personnages, depuis longtemps défunts,  disparus que mon témoignage de vivant ayant participé à ce vaste échange de baisers hors du temps rendait présent et accessible à mes auditrices qu'alors je ne me privais pas d'embrasser, en un généreux rite de transmission qui les rendait, elles aussi, différentes sous couvert du partage de ces baisers historiques. Ainsi,  j'en avais fait en quelque sorte un conte attrape-fille

Elles repartaient, porteuses émerveillées d'un baiser de Chopin transmit rituellement, racontant à leur tour, en mieux, avec des tas d'ajouts, l'aventure à laquelle je les avais fait participer  et qui me rendait irrésistible. ''

Claude Seignolle

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Vous avez lu l'histoire, le récit partiel, de la rencontre entre Claude Seignolle et de la petite-fille de George Sand :  Aurore Dudevant (1866-1961) et je Vous en remercie.  Vous lirez à votre convenance  le texte intégral dans  Le Berry des traditions et superstitions.  
 
 
Claude Seignolle


Claude, je ne vous ai pas demandé la permission de reproduire ce texte. Mais si je l'avais fait, vous m'auriez dit :  C'est pour cela que vous me téléphonez ? ... Et vous m'auriez raconté plein d'histoires  que je bois toujours comme une liqueur alchimique, ivre de vos bons mots...

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